Imaginez-vous, smartphone en main, au cœur des eaux turquoise des Bahamas. À quelques mètres de vous, un dauphin tacheté s’approche, curieux. Vous lancez une application et, soudain, votre téléphone analyse en temps réel les sifflements et les clics de l’animal, tentant d’en percer le sens. Cette scène, digne d’un roman de science-fiction, pourrait bientôt devenir réalité grâce à DolphinGemma, la nouvelle intelligence artificielle développée par Google. Pour la première fois, un outil accessible et portable pourrait permettre aux chercheurs – et peut-être un jour au grand public – de dialoguer avec l’une des espèces les plus intelligentes de l’océan. Mais comment cette technologie fonctionne-t-elle ? Que peut-on vraiment espérer comprendre du langage des dauphins ? Et quels enjeux soulève cette révolution à la croisée de la science, de la technologie et de la préservation de la biodiversité ? Plongée dans les coulisses d’un pari audacieux qui pourrait transformer notre rapport au monde animal.

Les dauphins, virtuoses de la communication

Les dauphins tachetés de l’Atlantique, étudiés depuis plus de quarante ans par le Wild Dolphin Project, fascinent par leur intelligence et la richesse de leurs échanges vocaux. Sifflements signatures, clics, « burst pulses » : leur répertoire sonore est aussi varié que sophistiqué. Ces sons servent à se reconnaître, à coordonner la chasse, à prévenir d’un danger ou à jouer. Mais derrière cette apparente cacophonie se cache peut-être une structure, voire un langage, que l’humain peine encore à décrypter.

Le défi scientifique : comprendre un langage sans mots

Décrypter la communication des dauphins relève d’un véritable défi. Contrairement au langage humain, ces vocalisations ne s’appuient pas sur une grammaire ou un alphabet connu. Leur signification dépend du contexte, de l’individu, et parfois même de la situation sociale. Jusqu’ici, les chercheurs devaient écouter et annoter manuellement des milliers d’heures d’enregistrements, un travail titanesque et souvent subjectif. La question reste ouverte : s’agit-il d’un véritable langage, ou d’un système de signaux complexes ?

DolphinGemma : l’IA taillée pour l’océan

C’est ici qu’intervient DolphinGemma, l’intelligence artificielle conçue par Google en partenariat avec Georgia Tech et le Wild Dolphin Project. Grâce à la technologie SoundStream, cette IA découpe les sons des dauphins en « jetons audio » et les analyse à la manière d’un modèle de langage. Elle apprend à reconnaître les motifs, à prédire la suite d’une séquence sonore et même à générer de nouveaux sons réalistes. Avec ses 400 millions de paramètres, DolphinGemma peut traiter en quelques heures ce qui aurait pris des années à une équipe humaine.

L’une des grandes innovations : l’intégration sur smartphone, notamment sur les modèles Pixel 9. Désormais, un chercheur – ou un passionné – peut enregistrer, analyser et expérimenter directement sur le terrain, sans équipement lourd ni laboratoires sophistiqués. C’est une révolution pour la recherche de terrain, mais aussi une ouverture vers la démocratisation de l’étude du vivant.

Ce que DolphinGemma change pour la recherche

DolphinGemma permet d’automatiser l’analyse de plus de 40 ans d’archives sonores, issues des observations du Wild Dolphin Project. L’IA détecte des motifs, identifie des séquences récurrentes et met en lumière des structures jusqu’ici invisibles à l’oreille humaine. Elle peut aussi générer des sons synthétiques, testés ensuite auprès des dauphins pour observer leurs réactions et affiner la compréhension de leur « vocabulaire ».

Les premiers résultats sont prometteurs : certains sons semblent associés à des objets ou des situations précises, ouvrant la voie à la construction d’un lexique partagé. Le gain de temps est colossal : là où l’analyse de quelques heures d’enregistrement pouvait prendre des semaines, DolphinGemma traite aujourd’hui des milliers d’heures en quelques jours.

Vers un vocabulaire partagé homme-dauphin ?

L’un des volets les plus fascinants du projet est l’expérimentation d’un protocole d’interaction directe : le système CHAT (Cetacean Hearing Augmentation Telemetry). Des plongeurs équipés d’un dispositif portable émettent des sons inspirés des vocalisations naturelles pour désigner des objets précis. Si un dauphin imite ce son pour demander l’objet, il est récompensé. Peu à peu, un vocabulaire commun se construit, permettant d’imaginer un dialogue élémentaire entre humains et dauphins.

Les chercheurs restent cependant prudents : il est difficile de distinguer une véritable compréhension d’une simple imitation conditionnée par la récompense. Le débat reste ouvert sur la nature du « langage » animal, mais les outils comme DolphinGemma offrent de nouveaux moyens pour avancer dans cette quête.

Enjeux, perspectives et ouverture

Au-delà de la prouesse technologique, DolphinGemma ouvre des perspectives inédites pour la conservation et la protection des cétacés. Mieux comprendre leur communication, c’est aussi mieux anticiper leurs besoins, détecter les menaces et sensibiliser le public à la richesse de la vie marine. À terme, la méthode pourrait s’étendre à d’autres espèces sociales, contribuant à une nouvelle ère de dialogue interespèces.

Mais cette révolution soulève aussi des questions éthiques : jusqu’où aller dans l’expérimentation ? Comment garantir le respect des animaux ? Et quelle responsabilité collective face à la préservation des océans ? Autant de défis à relever pour que la technologie reste un allié du vivant.

Vers un dialogue inédit entre humains et dauphins

DolphinGemma incarne un tournant majeur dans la compréhension de la communication animale. En rendant l’analyse accessible, rapide et interactive grâce au smartphone, Google et ses partenaires rapprochent l’humain d’un rêve ancien : dialoguer avec une autre intelligence. Si la route est encore longue avant de « parler dauphin », l’aventure ne fait que commencer. Et elle nous invite, plus que jamais, à écouter et protéger les voix de l’océan.