Ce matin de juin, Loïc Souriau, directeur de l’Agence régionale de santé en Vaucluse, scrute les derniers chiffres avec inquiétude. « Une forte épidémie de chikungunya sévit à la Réunion et à Mayotte et il y a de forts risques que des cas importés arrivent en France métropolitaine », confie-t-il. Pour la première fois depuis l’arrivée du moustique-tigre en 2004, les autorités sanitaires déclenchent une alerte sanitaire maximale sur l’ensemble du territoire français.
Une expansion fulgurante qui bouleverse la donne sanitaire
Le moustique-tigre Aedes albopictus a conquis la France avec une efficacité redoutable. Début 2025, son implantation a été constatée et confirmée sur 6 574 communes de métropole, soit une présence dans 81 départements – 84% des départements métropolitains. Les départements nouvellement colonisés en 2024 sont la Marne, la Haute-Marne et la Haute-Saône, marquant la progression continue de cette espèce invasive vers le nord.
En Auvergne-Rhône-Alpes, le moustique-tigre a colonisé plus d’un quart des communes de la région, impactant près de 75% de la population. Cette expansion géographique s’accompagne d’une intensification des risques sanitaires sans précédent.
Des chiffres alarmants qui justifient l’alerte maximale
Depuis début 2025, Santé publique France comptabilise des records inquiétants :
- Plus de 1 100 cas importés de dengue
- Plus de 900 cas importés de chikungunya
- Entre le 1er mai et le 3 juin 2025 : 283 cas de dengue, 424 cas de chikungunya et 2 cas de Zika importés
Ces chiffres représentent une augmentation spectaculaire par rapport aux années précédentes. En 2024, un total de 4 683 cas importés de dengue avaient été signalés sur l’ensemble de l’année.
« Au-delà du risque de circulation de la dengue, ce début d’année est marqué par un risque particulièrement accru d’importation et de circulation du virus du chikungunya en métropole en raison des épidémies en cours en Outre-mer. »
Ministère de la Santé et Santé publique France
Une découverte scientifique qui change la donne
L’Institut Pasteur a révélé une capacité émergente particulièrement préoccupante : le moustique-tigre est désormais capable de transmettre les virus West Nile et Usutu, précédemment transmis uniquement par le moustique Culex pipiens. Cette découverte majeure élargit considérablement le spectre des maladies vectorielles transmissibles.
Anna-Bella Failloux, cheffe de l’unité Arbovirus et Insectes Vecteurs de l’Institut Pasteur, explique : « Beaucoup de nos résultats étaient prévisibles, sauf en ce qui concerne le moustique-tigre Aedes albopictus. Effectivement, celui-ci s’est avéré capable de transmettre les deux virus. »
Le rôle crucial des oiseaux migrateurs
Au printemps, des millions d’oiseaux effectuent leur migration vers leurs lieux de reproduction. Le Grand Est français constitue un lieu de passage privilégié d’oiseaux capables de porter les virus West Nile et Usutu. En piquant les humains et les oiseaux, le moustique-tigre peut servir de vecteur intermédiaire pour transmettre le virus de l’oiseau à l’humain.
Surveillance renforcée et mesures d’urgence
Face à cette situation exceptionnelle, les autorités sanitaires ont mis en place une surveillance renforcée du 1er mai au 30 novembre 2025. Cette période correspond à l’activité maximale du moustique-tigre, favorisée par les températures élevées.
En Vaucluse, l’alerte est qualifiée de « maximale » car l’insecte colonise désormais tout le département et les conditions climatiques sont particulièrement favorables à son développement.
Maladies transmises : symptômes et délais d’incubation
Le moustique-tigre peut transmettre plusieurs maladies graves à déclaration obligatoire :
Maladie | Délai d’incubation | Symptômes principaux |
---|---|---|
Dengue | 4 à 10 jours | Fièvre >40°C, maux de tête, douleurs musculaires, éruption cutanée |
Chikungunya | 2 à 12 jours | Fatigue, douleurs articulaires intenses, fièvre brutale |
Zika | 3 à 12 jours | Fièvre, éruption cutanée, conjonctivite, douleurs articulaires |
West Nile | 3 jours | Fièvre, maux de tête, complications neurologiques possibles |
Comment reconnaître le moustique-tigre
Le moustique-tigre se distingue par plusieurs caractéristiques spécifiques :
- Taille réduite : environ 5 mm, plus petit qu’une pièce de 1 centime
- Rayures blanches et noires sur le corps et les pattes (pas jaune et noir)
- Ligne dorsale blanche centrale sur le thorax noir
- Comportement diurne : actif le matin et en fin d’après-midi
- Vol silencieux : contrairement au moustique commun
Prévention : les gestes essentiels pour limiter la prolifération
La lutte contre le moustique-tigre repose principalement sur l’élimination des gîtes larvaires. Une femelle peut pondre plusieurs centaines d’œufs à chaque ponte dans de petits volumes d’eau stagnante.
Checklist des actions préventives
- Vider régulièrement les coupelles sous les pots de fleurs, seaux, arrosoirs
- Couvrir les récupérateurs d’eau et les bacs de collecte
- Jeter ou ranger les objets pouvant retenir de l’eau (jouets, pneus)
- Nettoyer régulièrement les gouttières, rigoles, caniveaux
- Entretenir les piscines, fontaines, bassins ou les traiter
- Changer l’eau des plantes chaque semaine
« Avec nos connaissances sur la répartition territoriale du moustique-tigre, nous pouvons déjà établir une carte des zones où les virus risquent d’être transmis aux humains. Il est possible de renforcer la surveillance des moustiques et des oiseaux à proximité des zones urbaines. »
Anna-Bella Failloux, Institut Pasteur
Signalement et surveillance citoyenne
Si vous pensez avoir observé un moustique-tigre dans votre commune, vous pouvez le signaler via le portail officiel de signalement du moustique-tigre. Cette surveillance citoyenne contribue directement au suivi de l’expansion de l’espèce sur le territoire.
Autres risques aquatiques : vigilance dans les milieux naturels
Si le moustique-tigre colonise principalement les zones urbaines, les activités de loisirs aquatiques exposent également à d’autres rencontres avec la faune sauvage. En période de forte chaleur, la baignade en rivière peut réserver des surprises avec les serpents d’eau, bien que ces derniers soient totalement inoffensifs contrairement aux idées reçues. Cette vigilance générale envers la biodiversité aquatique s’inscrit dans une approche globale de cohabitation respectueuse avec les écosystèmes naturels.
Perspectives d’avenir et enjeux de santé publique
Les experts prévoient que dans 4 à 5 ans, tous les départements français seront touchés par le moustique-tigre. Le réchauffement climatique accélère cette expansion en rendant propices au développement de l’espèce des territoires de plus en plus septentrionaux.
Cette situation exceptionnelle de 2025 marque un tournant dans la gestion des maladies vectorielles en France métropolitaine. La combinaison entre l’expansion géographique du moustique-tigre, ses nouvelles capacités vectorielles et les épidémies outre-mer crée un contexte sanitaire inédit qui nécessite une mobilisation collective sans précédent.
La prévention reste l’arme la plus efficace : chaque geste compte pour limiter les sites de reproduction et réduire les risques de transmission. L’été 2025 sera déterminant pour évaluer l’efficacité des mesures mises en place face à cette alerte sanitaire maximale.