Un matin de mai 2022, les remorqueurs du port du Havre n’en croient pas leurs yeux : une orque de plus de quatre mètres, silhouette noire et blanche surgie des profondeurs, remonte la Seine. Quelques semaines plus tard, c’est un béluga, cétacé des eaux arctiques, qui s’égare à son tour dans le fleuve. Ces apparitions, aussi spectaculaires qu’inattendues, rappellent que la Seine, loin d’être un simple ruban d’eau urbaine, peut devenir le théâtre de rencontres marines extraordinaires.
Des géants à contre-courant : orque, béluga et baleine à bosse
L’année 2022 restera gravée dans les mémoires des naturalistes et des riverains : jamais la Seine n’avait accueilli autant de grands mammifères marins en si peu de temps.
- L’orque (Orcinus orca), femelle solitaire de plus d’une tonne, a été observée entre Honfleur et Le Havre. Désorientée et affaiblie, elle n’a malheureusement pas survécu à son périple malgré une mobilisation sans précédent des associations et des autorités.
- Le béluga (Delphinapterus leucas), cétacé blanc venu du Grand Nord, a quant à lui remonté le fleuve jusqu’à 70 km de Paris. Son extraction, suivie par des centaines de personnes, n’a pu empêcher une issue tragique : l’animal, trop affaibli, a dû être euthanasié.
- La baleine à bosse, aperçue en octobre 2024 près du pont de Normandie, a surpris même les experts. Bien que sa présence au large des côtes normandes soit connue, la voir s’aventurer dans l’estuaire de la Seine reste exceptionnel.
Ces incursions soulèvent de nombreuses questions : désorientation liée au bruit sous-marin, maladies, pollution, ou simple hasard migratoire ? Les scientifiques privilégient l’hypothèse de perturbations environnementales, accentuées par le changement climatique et l’intensification du trafic maritime.
Phoques et rorquals : des visiteurs de plus en plus réguliers
Si la présence de phoques dans l’estuaire de la Seine n’étonne plus les habitués, certains individus n’hésitent plus à remonter le fleuve sur plusieurs dizaines de kilomètres.
- En 2022, un veau marin (Phoca vitulina) a été observé jusque dans l’Eure, tandis qu’en 2006, un phoque barbu, espèce arctique, a surpris les scientifiques en atteignant le Val-d’Oise, aux portes de Paris.
- Le rorqual, autre géant des mers, a également été signalé dans la Seine, confirmant que le fleuve peut, ponctuellement, accueillir des cétacés de passage.
Ces visites témoignent d’une Seine vivante, connectée à la mer, mais aussi des bouleversements qui affectent les routes migratoires de nombreux animaux marins.
Les reptiles et poissons exotiques : passagers clandestins du fleuve
Outre les grands mammifères, la Seine a vu surgir des créatures tout droit venues d’autres continents, souvent relâchées par des particuliers :
- Crocodile du Nil : En 1984, une femelle de 80 cm a été récupérée dans les égouts parisiens, avant de couler des jours paisibles à la ménagerie du Jardin des Plantes.
- Tortue alligator : En 2009, une tortue de près de 100 kg a été repêchée sous le pont de Bir-Hakeim. Originaire des États-Unis, ce reptile est parfois abandonné par des propriétaires dépassés par sa taille adulte.
- Python de 3 mètres : En 2012, un python mort de 40 kg a été retrouvé flottant dans la Seine, illustrant les conséquences de l’abandon d’animaux exotiques.
Des poissons venus d’ailleurs… et d’ici
- Pacu et piranha : En 2013, un pêcheur parisien a découvert un pacu, poisson d’Amérique du Sud souvent confondu avec le piranha. Si sa réputation de “mangeur de testicules” relève du mythe, sa présence dans la Seine reste une énigme, probablement liée à un relâcher illégal.
- Silure glane : Géant des rivières européennes, le silure peut dépasser 2 mètres et 100 kg. Sa présence, désormais régulière dans la Seine, fascine autant qu’elle inquiète les pêcheurs et les promeneurs.
Pourquoi ces animaux marins dans la Seine ?
Les causes de ces incursions sont multiples :
- Désorientation : Les cétacés, sensibles au bruit et à la pollution, peuvent perdre leurs repères et remonter le fleuve par erreur.
- Recherche de nourriture : Phoques et certains poissons suivent parfois les bancs de poissons jusque dans l’estuaire, voire au-delà.
- Relâchés volontaires : Les reptiles et poissons exotiques sont souvent issus d’abandons par des particuliers, soulignant la nécessité d’une meilleure sensibilisation à l’adoption responsable.
Une Seine miroir de nos bouleversements
Chaque apparition d’un animal marin dans la Seine est un événement, mais aussi un signal. Elle révèle la porosité entre le fleuve et l’océan, l’impact de nos modes de vie sur la faune sauvage, et la nécessité de mieux protéger ces milieux fragiles.
Les scientifiques appellent à la vigilance et à la responsabilité : observer, protéger, et comprendre, pour que la Seine reste un corridor de biodiversité, et non un piège pour les visiteurs égarés.
La Seine, fleuve urbain par excellence, n’a pas fini de nous surprendre. Entre les géants venus du large et les passagers clandestins exotiques, elle rappelle que la vie aquatique, même au cœur de la ville, demeure riche, fragile, et profondément connectée au vaste monde marin.
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